les yeux rives
Vue d’exposition, Les yeux rives, espace Frans Krajcberg centre d’art et nature, Paris, 2022 ; bourse création Cnap 2021
crédit photo :
Angèle Manuali
Angèle Manuali
à propos
Une plongée dans le Journal du Rio Negro de Pierre Restany, tenu à l’été 1978, qui contient le Manifeste du Naturalisme Intégral. Du « choc » produit par ce voyage en compagnie de Frans Krajcberg, autant esthétique que sensible et philosophique, Restany écrit une éloge de la nature Amazonienne, appelle à une conscience plus sérieuse des enjeux écologiques au sein de l’art, et à une sensibilité affective envers « la nature ». Tout en considérant les limites de ce discours à l’aune des outils intellectuels et sociaux contemporains, et au regard de la réception brésilienne et européenne d’alors, une installation, un texte et une performance explorent l’archive tel un paysage, poussent la notion de naturalisme vers l’aberration, vers des gestes et acceptions limites, et font de la bouche un environnement sonore où le langage est l’égal du son, le mot l’égal du cri, le silence l’égal de la respiration, et l’écriture une rivière.︎ Fonds conceptuel
LES YEUX RIVES reposent sur la redécouverte du Manifeste du Naturalisme Intégral et du Journal du Rio Negro. La notion de naturalisme a été approfondie par Philippe Descola à partir de 2005 avec son ouvrage Par-delà nature et culture, jusqu'à 2021 avec Les Formes du visible, en mettant cette ontologie (manière de se représenter le monde, de concevoir des continuités et des discontinuités entre les êtres qui composent le monde) en parallèle avec 3 autres ontologies : le totémisme, l'analogisme et l'animisme. Les analyses de Descola amène les lecteur.rices à envisager le naturalisme comme une option parmi tant d'autres pour se représenter le monde et interagir avec lui. Il offre un point de vue critique sur ce que cette ontologie a produit à travers l'histoire, pour le meilleur et pour le pire.
L'anthropologie est un des terreaux conceptuels de ma démarche artistique. Cette science sociale offre des contrepoints aux habitudes sociales et me semble inspirante pour éduquer la sensibilité et interroger les besoins réels et les aberrations d'une société. Dans l'ontologie naturaliste, je considère certains gestes, certaines pratiques, comme aberrantes. Ces aberrations, Pierre Restany et Frans Krajcberg en discutent lors de leur voyage (colonisation, rationalisation du savoir et des espaces, exploitation) et Restany écrit son Manifeste en mettant en perspective le « choc » du voyage avec sa théorisation du Nouveau Réalisme en 1960. La Nature urbaine comme donné immédiat est ici, en Amazonie, remis en question. De même, dans l'art, quels donnés choisissons-nous de défendre ? Pour quelles relations et quelles sensibilités optons-nous ? L'archive offre une matière spécifique qu'il a fallu m'approprier, faire parler ou du moins signifier, actualiser « sa puissance d'agir ».
Cette question de la puissance d'agir des images est pour moi centrale. Je la pose en mettant au cœur de ma démarche la matérialité des images. Souvent, nous avons à notre disposition des images immatérielles, stockées sous forme de datas. Ici, les images sont présentes, agrandies, elles ont leurs propres défauts, leurs aberrations chromatiques, leur poids qui les déforment... elles structurent l'espace. Leurs découpages offrent des cadrages dépendant de formes organiques. Tout l'arbitraire du cadrage, de la définition d'un sujet isolé contenu dans l'image est ici mis en mouvement.
Cette notion d'encyclopédie est très présente dans mon travail en général. Elle permet de penser la vanité de la collection, de la tentation de l'exhaustivité, mais d'ouvrir cependant des processus créatifs – infinis – qui engagent leurs auteur.rices dans une éthique singulière, dans la constitution d'un savoir sensible.
︎ Choix des images
J'ai choisi les images en fonction des formes qu'elles offraient. Ce sont toutes des reproductions issues des deux fonds d'archives explorés. Je souhaitais donc qu'il y ait un écart entre l'original et la reproduction, que cette dernière soit générative d'une forme et d'une signification nouvelle. Que mon travail amène à envisager le rapport à une image comme si c'était un être vivant, une plante par exemple, avec laquelle on a une relation, envers laquelle on a des intentions et attentions. Pas nécessairement une place fixe, un cadre de protection... mais peut-être de la mobilité, des liens tactiles, l'acceptation de sa disparition saisonnière...
Certaines images, essentiellement dans le Fonds Restany, ont été choisies parce qu'elles renvoyaient à la carte postale, au souvenir exotique ou fantasmé du voyage et de la nature. Ces éléments viennent en contrepoints des images de Krajcberg qui manifestent une attention et une proximité forte aux formes infinies de la nature brésilienne – nature qu'il a capté sans cesse par la photographie, dans une démarche quasi encyclopédique.
texte critique
Mathis Berchery : Les yeux rives 2022
vues d’exposition
crédit photo :
Angèle Manuali
Angèle Manuali
soutiens
Les yeux rives a reçu le soutien du Cnap, de Dos Mares et les Ateliers Blancarde (Marseille), de la Région Bretagne et d’Art Contemporain en Bretagne, des Archives de le Critique d’art de Rennes et de l’Espace Frans Krajcberg - centre d’art et nature (Paris).
Le projet a fait l’objet de 2 résidences de recherche aux ACA et à l’Espace Krajcberg en 2021, d’une résidence de création aux Ateliers Blancarde, et d’une exposition à l’Espace Frans Krajcberg du 31 mars au 18 mai 2022. La performance Paysage autophage a été présentée lors du vernissage et du finissage.
L’exposition a été ponctuée de rencontres/discussions, notamment avec Floresta TVet le Xana Nui Huni Kuin, en collaboration avec Survival International, ainsi qu’avec Sylvie Depondt, archéologue et théoricienne du paysage.
La performance Paysage autophage a également été présentée à Vitrolles, dans le cadre du festival Provence Art Contemporain en juin 2022.
Elle a été également présentée à la FLAC à Valenciennes.
L’édition Quand on devient une rivière a été exposé dans le cadre du Salon des 48h de l’Agriculture à Marseille. La lecture sonore du texte a été diffusée en audio.